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En un instant Sorviodunum avait secoué sa fausse torpeur, les hommes avaient rejoint leur commandant et leur poste de combat. Le fort était devenu quasi désert. Seuls restaient les filles à soldats qui accompagnent les armées, quelques serviteurs, et Azilis. L’aube pointait.
Sur les remparts, Azilis regardait le ciel s’illuminer de roses et de bleus qui donnaient au vert des collines et de la vallée un éclat surnaturel. Des faisceaux de lumière surgissaient partout, reflets du soleil sur un casque ou sur une lance. Elle avait sous les yeux l’armée de Bretagne.
Au centre, les lanciers. Derrière eux, les archers. Et sur leurs flancs, des unités de cavalerie.
Caius commandait l’aile gauche. Dans la bataille, lui avait-il dit, elle distinguerait ses guerriers à son étendard de couleur pourpre.
Les cavaliers d’Arturus resteraient d’abord en retrait, sur le flanc arrière de la colline. Sa bannière représentait le dragon de Bretagne. Mais faute de vent, les étendards ne se déploieraient qu’au moment de la charge.
L’attente parut interminable, infinie, angoissante. Et puis Azilis distingua une masse sombre à l’horizon, avançant vers Sorviodunum et se déversant dans la vallée comme une ombre immense d’où s’élevait un nuage de poussière.
Peu à peu, l’avant de ce monstre informe se transforma en une armée, en milliers d’hommes aux silhouettes de plus en plus précises, pendant que derrière eux l’ombre continuait à se déverser des collines et à recouvrir la vallée comme un terrible manteau de ténèbres.
Ce n’était plus seulement une vision. C’était aussi un son. Le grondement de cette multitude d’hommes en marche, continu et étouffé, qui évoquait l’incessant roulement des vagues sur une plage.
L’armée d’Aelle parut marquer une pause puis repartit presque aussitôt, ajoutant au grondement le vacarme cadencé de milliers de seax frappant des milliers de boucliers et les mugissements de longs cors de guerre.
Les Saxons étaient deux fois plus nombreux que les Bretons. Et ils étaient si près qu’Azilis distinguait les taches claires de leurs visages, l’éclat métallique de leurs lances. Son cœur battait à tout rompre. Pourquoi les Bretons ne bougeaient-ils pas ? Qu’attendaient-ils pour se lancer dans la bataille ?
Soudain, des centaines de flèches fendirent l’air et s’abattirent sur les premiers rangs saxons. Des hommes s’effondrèrent, immédiatement remplacés par d’autres, et des flèches saxonnes répondirent aux flèches bretonnes, faisant elles aussi tomber des corps, aussitôt engloutis par la grande nasse humaine.
Puis ce fut une clameur sauvage, une charge brève, et enfin l’affrontement au corps à corps. Azilis vit les deux armées se heurter, suscitant une terrible onde de choc, chaque ligne s’efforçant d’enfoncer l’autre dans un chaos atroce et meurtrier.
Cet effort monstrueux prit un temps démesurément long.
Azilis écarquillait les yeux devant l’inimaginable spectacle. Ses lèvres murmuraient des prières qu’elle adressait autant au Christ qu’à Dôn, la Grande Déesse que Rhiannon lui avait appris à vénérer.
Enfin, elle entendit le son clair d’une trompette sonnant la charge. Derrière l’étendard pourpre de Caius, les cavaliers dévalèrent la colline dans un martèlement si puissant qu’il étouffa un instant le bruit de la mêlée.
La cavalerie fendit la masse de fantassins, semant la mort autour d’elle. Mais l’armée saxonne résistait. Peu à peu la nasse se resserra autour des Bretons et Azilis vit plus d’un cavalier tomber, victime d’une hache ou d’une flèche. L’armée bretonne parut sur le point de céder. Alors Azilis détourna la tête, le cœur battant à exploser.
Un second appel de trompette libéra les compagnons d’Arturus qui se déversèrent sur les combattants comme un torrent en crue dévalant d’une montagne.
Kian était parmi eux.